Michel Berger

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Michel Berger s'éteint à 44 ans
Petrowski, Nathalie

Le Devoir

Article du Journal Le Devoir, de Montréal, du mardi 4 Août 1992.


MICHEL BERGER ne viendra pas à Montréal cet automne pour les répétitions de La légende de Jimmy, n'ira plus jouer au tennis avec Luc Plamondon, ne regardera plus la neige tomber de la fenêtre de sa maison de la rue Saint-Viateur qu'il habitait parfois en passant, ne laissera plus ses mains glisser sur les pianos plantés comme des blés noirs sur son passage, ne chantera plus en duo avec les oiseaux, n'entendra plus jamais l'écho de ses pas sur les planches d'une scène.

Le plus discret des compositeurs populaires français, celui qui a été le pygmalion de Véronique Sansom et de France Gall, l'incontournable mélodiste de Starmania et de La Légende de Jimmy, est mort dimanche, au dernier jour de ses vacances dans la grande maison de Ramatuelle sur la Côte d'Azur où il trouvait refuge tous les étés, loin des vanités parisiennes et de la foule déchaînée. Son coeur a flanché sous un soleil de plomb et une chaleur accablante qu'il défiait avec l'insouciance d'un champion olympique pour jouer au tennis, encore une fois, la dernière.

La partie devait durer dix minutes. Elle a duré une heure. Quand Berger est remonté dans la maison où même en vacances, il s'obstinait à travailler tous les matins, il fut pris d'un malaise qu'un docteur précipité sur les lieux, tenta de dissiper par une injection. Vingt minutes plus tard, son coeur cessait de battre à jamais. Il avait 44 ans.

Ce matin-même alors que la France profonde pleure son seul vrai compositeur populaire, celui qui pendant 30 ans a pratiquement monopolisé les palmarès français, les disquaires du Québec affichent dans leur vitrine le dernier disque de Berger et de France Gall, la première oeuvre commune d'un couple sans histoires qui avait toujours refusé de tabler sur leur complicité domestique et de faire ce "disque ensemble" que tout le monde leur réclamait. A la fin pourtant, sentant que le moment était propice ou que peut-être le temps passait trop vite, ils décidèrent d'unir leurs voix dans un jeu d'harmonies quasi trop parfait, sans savoir qu'ils étaient en train de rédiger une sorte de testament.

Double jeu est sorti en France au début de l'été mais ironie du sort, ce n'est que dimanche soir que la maison de disque WEA recevait ses exemplaires québécois, avec cette étrange photo par ordinateur où le couple vêtu de noir, apparaît flou et en pointillé dans un escalier, elle veillant sur lui avec un sourire un peu triste et lui presque affaissé, regardant le plancher comme s'il allait bientôt s'y enfoncer.

Disque d'une époque opaque et sans espoir, époque que Berger détestait tout en étant furieusement fasciné par elle, Double-jeu devait marquer le retour sur scène du compositeur-chanteur qui comptait affronter Bercy, la plus grande salle de spectacles de Paris, en 93 aux côtés de France Gall. Le projet était d'autant plus surprenant que Berger avait lui-même mis un terme à sa carrière de chanteur à la fin des années 60, s'enfermant dans un bureau pour écrire les chansons que chanteraient Johnny Hallyday, Françoise Hardy et France Gall, se découvrant producteur à part entière avec Véronique Sanson avant de déclarer à qui l'interrogeait sur son exil volontaire, qu'il n'était pas chanteur mais "aussi" chanteur.

Fils du célèbre médecin et philosphe Jean Hamburger, qui est mort l'année dernière, Berger était aux dires de ceux qui l'ont connu, un homme timide, nerveux et tourmenté, qui ne buvait pas, ne fumait pas et n'avait qu'une passion dans la vie: son travail. Malgré les millions accumulés au fil des années et des tubes qu'il ne cessait de produire, Berger refusait toute retraite anticipée. Il travailla donc jusqu'à la fin, téléphonant à Luc Plamondon à tout bout de champ pour lui faire part d'une idée, d'un flash, d'un projet, profitant de ses derniers jours de congé pour préparer la version londonienne de Starmania, la version montréalaise de La légende de Jimmy et son propre retour sur scène. Atterré, Plamondon a fait savoir hier qu'il venait de perdre son meilleur ami et qu'il serait néanmoins présent à ses côtés lors de la première de Starmania à Londres en septembre.


Avec la mort de Berger, la France ne perd pas une légende de la trempe de Gainsbourg, de Yves Montand, de Arletty ou de Coluche. Berger n'était pas un mythe, un monument ni un phénomène médiatique. S'il lui arrivait de se retrouver dans Paris-Match c'était avant tout parce qu'il avait épousé France Gall. Il n'y aura pas de legende de Michel comme il y eu une légende de Jimmy. En revanche, la pop musique française perd un de ses plus fidèles et constants artisans, commerçant à ses heures peut-être, mais aussi grand mélodiste, un des seuls Français avec Gainsboug à s'inspirer du rock britannique et américain pour arracher la musique populaire française à la mélasse mortelle de ses variétés.



Luc Plamondon, seul en scène
Petrowski, Nathalie

Le Devoir

Article du Journal Le Devoir, de Montréal, du mardi 25 Août 1992.


AUJOURD'HUI, quand Luc Plamondon présentera à la presse montréalaise les quatre vedettes québécoises de l'opéra rock La légende de Jimmy qui prendra l'affiche à la Salle Maisonneuve du 17 novembre au 5 décembre, il les présentera seul, sans pouvoir se tourner vers le compositeur Michel Berger pour lui céder la parole, lui donner un coup de coude ou lui glisser ne serait-ce qu'un clin d'oeil de complicité. Berger devait être à Montréal aujourd'hui. Tout comme il devait être aux côtés de Plamondon la semaine prochaine à Londres. Le hasard ou le destin en a voulu autrement. Berger est mort d'une crise cardiaque à Ramatuelle il y a trois semaines et Luc Plamondon, qui n'a jamais vu la mort d'aussi proche, se sent subitement très seul, orphelin de son premier collaborateur, de son ami, de son confident.

Hier après-midi, sur une terrasse de la rue Laurier, à quelques portes de ses bureaux montréalais, Plamondon avait envie de parler de Berger comme s'il ne pouvait contenir le flot de souvenirs qui le submergeait et l'aidait à retenir le disparu encore quelques jours, quelques mois, le temps qu'il s'habitue à ne plus lui parler au téléphone à tous les trois jours, le temps qu'il classe certains projets à jamais, le temps qu'il assimile cette fatalité absurde: la mort d'un homme qu'on a trop bien connu.

"Ce que je regrette le plus, dit Plamondon en contemplant un triste jus de carotte qu'il a commandé par acquis de conscience, c'est à la fois toutes les années qu'il nous restait à faire de la musique ensemble, mais aussi toutes les années où nous n'avons pas travaillé ensemble, les années qui se sont écoulées entre Starmania et La légende de Jimmy, presque dix ans où chacun de notre côté, nous avons été pris ailleurs. Ces années-là, je ne pourrai jamais les rattraper."

L'année dernière, Plamondon et Berger avaient décidé d'un commun accord de se lancer à fond de train dans la comédie musicale et d'y consacrer toutes leurs énergies. Berger devait faire un dernier tour de piste avec sa femme France Gall et avait conçu Double jeu, leur dernier disque, ensemble comme une sorte de testament et d'adieu à la pop musique française, après quoi Berger prévoyait déménager à Los Angeles et donner un grand coup d'accélérateur à sa carrière internationale pour qu'un jour son nom clignote en grosses lettres sur les marquises de Broadway.

Plamondon se souvient de sa première conversation téléphonique avec Berger en 1976. "Michel avait mal calculé le décalage horaire. Il pensait qu'il était 4 heures de l'après-midi alors qu'en fait, il était quatre heures du matin. Il avait écouté les disques que je venais de faire avec Diane Dufresne et me demanda sans détour d'écrire une comédie musicale avec lui. Il trouvait que je savais bien exprimer la violence du monde moderne. Il me l'a dit comme ça, à 4 heures du matin. Je me suis demandé si je n'étais pas en train de rêver ou si Berger n'était pas en train de délirer."

Plamondon ne rêvait pas plus que Berger ne délirait. Quelques mois plus tard, il se retrouvait chez Berger, dans une magnifique villa du 16ème arrondissement, devant un immense piano à queue blanc où Berger plaqua les premiers accords de ce qui devait devenir une classique de Starmania et l'hymne de Fabienne Thibeault, Le monde est stone. Plamondon chercha pendant des jours et des jours les quatre mots qui colleraient à la mélodie, usant tous les mots de la langue française, essayant toutes les combinaisons possibles. Lorsqu'il proposa à Berger "seul, je marche seul", celui-ci lui répondit qu'il n'était pas allé le chercher pour qu'il fasse de la chanson française mais bien pour qu'il exprime son américanité. "Michel était fasciné par l'Amérique, raconte Plamondon, moi aussi à un certain degré encore que j'y avais vécu pendant un an et j'avais perdu certaines illusions. Ce qui l'intéressait chez moi, c'était justement mon côté nord-américain, c'était aussi, je suppose, le côté excessif de l'Amérique."

Pour Plamondon, Berger était à sa manière un excessif, quelqu'un de perpétuellement anxieux, une sorte de bombe à retardement que les bonnes manières bourgeoises françaises empêchaient d'exploser. "À cet égard, nous étions parfaitement complémentaires. Moi j'explosais pour lui tandis que lui m'apportait son drive, son entêtement, son ambition démesurée. Moi je suis quelqu'un de foncièrement paresseux qui a besoin d'être continuellement poussé. Avec Michel je n'avais aucune crainte, je savais qu'il me pousserait tellement que je serais obligé d'accoucher. Heureusement, en cours de route il m'a donné son virus de workaholic et j'ai fini par lui ressembler plus que je ne l'imaginais."

Reste qu'avec la mort inattendue de Berger, Plamondon semble un peu perdu et, surtout, dépassé par les événements. Or ceux-ci vont se bousculer de plus en plus, avec la production montréalaise de La légende de Jimmy en novembre, la création à Londres de Tycoon et la préparation d'un autre opéra rock Les romantiques que Plamondon signera avec Catherine Lara à Paris cette année également sans compter l'écriture de Kahnawake, une comédie musicale sur film que Plamadon écrira avec François Cousineau l'été prochain. Pour une rare fois dans sa vie, celui qui ne tient jamais en place ne reste jamais plus de trois mois par année au Québec et prend un grand plaisir à se promener en avion à travers la planète avoue qu'il a plus que jamais envie de revenir au Québec et de souffler un peu. Envie aussi de retravailler avec François Cousineau qu'il a un peu perdu de vue depuis dix ans. "On dirait que j'ai besoin de me retrouver en terrain connu et de travailler avec quelqu'un que je connais, avec qui je sais que je m'entends au lieu de tout recommencer à zéro avec un inconnu."

La terrasse s'est vidée subrepticement. Plamondon commande un dernier expresso avant de remonter vaquer à ses affaires. "The show must go on", comme diraient les Américains. Luc Plamondon en sait quelque chose.


Toutes les précisions et suggestions sont les bienvenues.
Dernières modifications: le 06-04-97.